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7 - Les diagnostics
Comment savoir
ce qui se passe au coeur du plasma, dans une machine sous vide hermétiquement
fermée où règne des températures de plusieurs millions de degrés ? C'est le
rôle des diagnostics, ces instruments de mesure aussi variés qu'astucieux, et
qui nécessitent le savoir-faire de nombreux spécialistes. Les tokamaks en sont
truffés, ils sont indispensables ... |
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Que veut-on mesurer ? |
On peut classer les grandeurs à
mesurer en trois grandes catégories :
On veut savoir où se place la
machine en terme de triple produit densité/ temps
de confinement,/température, le facteur de mérite de la fusion basé sur
le critère de Lawson.
Savoir, souvent en temps réel,
ce qui se passe au niveau des paramètres de contrôle de la machine (champ
magnétique, courant plasma etc) permet de programmer à l'avance la décharge
suivant les exigences des physiciens, voire d'agir en cours de décharge pour
corriger un éventuel problème. Ces diagnostics sont vitaux pour le
fonctionnement du tokamak.
On cherche en permanence à
affiner la compréhension des nombreux phénomènes physiques complexes qui
régissent un plasma de tokamak. Certains paramètres sont directement
accessibles expérimentalement grâce aux diagnostics, d'autres doivent se
déduire à partir des mesures en utilisant des modèles plus ou moins
raffinés, qui peuvent aller de la simple règle de trois jusqu'au code
informatique nécessitant des heures de calcul sur des ordinateurs surpuissants.
Par exemple, pour analyser les phénomènes de
transport de la chaleur, on peut mesurer ce qu'on a injecté dans la machine
(puissance ohmique et puissance additionnelle) et ce qu'on a extrait dans
les différents composants instrumentés. On en déduit la répartition entre
les pertes par rayonnement et par conduction/convection, et on remonte aux
coefficients de transport grâce à des codes de calcul.
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Comment mesurer ce qu'on ne peut toucher ? |
Il est évidemment difficile
d'introduire un instrument de mesure dans le plasma, milieu plutôt hostile avec
ses millions de degrés, n'en déplaise au lord anglais qui, réagissant à une
interrogation d'un de ses collègues lors des débats pour la construction du
tokamak JET "Mais quel genre de thermomètre est capable de mesurer
des millions de degrés ?", répondit "Un très grand, I presume".
On a donc recours à des instruments de mesure qui observent le plasma à
distance respectueuse, souvent derrière des hublots spécialement conçus.
Impossible d'être exhaustif (Tore Supra compte plus d'une quarantaine de
diagnostics) mais on peut en citer quelques uns à titre d'exemple en les
classant en différentes catégories suivant le principe de mesure :
Les rayons X, mesurés par des
caméras équipées de détecteurs spéciaux, sont liés au rayonnement de
freinage des électrons très énergétiques, et permettent d'avoir des
renseignements sur leur distribution en énergie et donc l'efficacité d'un
chauffage par exemple. Dans
l'ultraviolet, des spectromètres mesurent le rayonnement des impuretés
lourdes, comme les métaux, ce qui fournit des renseignements sur la pollution du
plasma et donne éventuellement l'alarme en cas de surchauffe d'un composant
métallique. Des caméras
CCD travaillant dans le visible permettent d'avoir une vue générale de la
chambre à vide, avec le halo rose caractéristique de l'interaction
plasma/paroi au bord de la décharge. Toujours
dans le visible, des fibres optiques ou des endoscopes installés sur les composants face au
plasma donnent des informations locales sur le rayonnement des espèces
légères, comme le deutérium, l'hélium ou le carbone. Cela permet de
progresser dans la compréhension des interactions plasma/paroi, en particulier
au niveau de l'émission d'impuretés par érosion.
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Voici par exemple un gros plan sur un
neutraliseur du divertor ergodique
(le plasma repose sur les longues structures
au centre de l'image), et le même, vu par un endoscope équipé d'un filtre
permettant de sélectionner l'émission d'une molécule d'hydrocarbure, formée
entre le carbone érodé et le deutérium du plasma lors de certains processus
d'érosion. On voit clairement que l'émission est concentrée autour des
surfaces avec lesquelles le plasma est en contact. Quant
au domaine de l'infrarouge, de nombreuses caméras sont elles utilisées pour mesurer l'élévation en
température des composants face au plasma, et constituent un élément vital
pour la sécurité de la machine. Si on observe un échauffement anormal, on
coupe immédiatement la puissance additionnelle, et on arrête le plasma.
Comme dans l'air ou dans l'eau,
les ondes peuvent se propager dans un plasma, avec en particulier la
possibilité de le chauffer en lui couplant une onde à une fréquence bien
choisie. Mais les ondes sont aussi de précieux instrument de mesure et de
nombreux diagnostics sont basés sur des principes proches de celui du radar ou
du sonar : on envoie une onde, on détecte la réponse du milieu traversé, on
en déduit les paramètres du milieu.
Par
exemple, en réflectométrie, on utilise la propriété de réflexion d'une
famille d'onde à une fréquence de coupure donnée. Cette fréquence de
coupure est liée à la densité du plasma rencontré, et en mesurant le
temps que l'onde met pour aller et revenir une fois réfléchie (émetteur et
récepteur sont placés au même endroit), on peut en déduire le profil de
densité dans la décharge.
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On voit ici un profil de
densité mesuré par le réflectomètre le long du grand rayon de la
machine (3.2 m correspond au bord de la décharge, côté extérieur du
tore) et son évolution au cours du temps. Autour de t = 6s, on effectue
un déplacement du plasma de plusieurs centimètres vers
l'intérieur de la machine, nettement enregistré par le réflectomètre.
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En interférométrie, on utilise cette fois une onde
capable de traverser le plasma (émetteur et récepteur sont placés de part et
d'autre de la machine) et on mesure la différence de phase et de polarisation
entre l'onde incidente et l'onde recueillie après sa traversée du plasma, ce
qui donne des renseignements à la fois sur la densité et le profil du courant.
La diffusion Thomson utilise le même genre de technique avec une onde
légèrement différente pour en déduire le profil de température. Il existe
également des diagnostics capables de mesurer les fluctuations de densité,
liées à la turbulence du plasma.
On peut éventuellement
introduire une sonde dans le plasma de bord, à condition de la protéger
efficacement. Ainsi de nombreux composants dans la chambre sont équipés de sondes de Langmuir,
petits éléments robustes en carbone qui recueillent le courant du plasma,
permettant de remonter à la densité et à la température locale. Si vous
regardez bien la photo du neutraliseur du divertor ergodique ci-contre, vous
distinguerez 4 sondes de Langmuir glissées entre les structures du neutraliseur. Tore Supra
est également équipé d'une sonde mobile, qui est capable d'aller explorer les
premiers centimètres du plasma de bord grâce à un bras qui introduit et
retire rapidement le diagnostic, avant que le plasma n'ait eu le temps de
l'endommager.
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Enfin, la machine est également
équipé de nombreux diagnostics plus classiques, qui ne sont pas propres aux
plasmas, comme par exemple des jauges de pression pour vérifier la qualité du
vide dans la machine ou évaluer les performances en pompage, des boucles de
mesures magnétiques pour caractériser la configuration magnétique de la
décharge et son activité MHD ou des thermocouples pour mesurer les
élévations de température des circuits de refroidissement et effectuer un
bilan de puissance extraite par la machine. On
mesure également les neutrons produits par les réactions de fusion. Dans le
cas de Tore Supra, le seul combustible utilisé est le deutérium. La
fusion D-D produit des neutrons
et du tritium. Ce tritium peut ensuite réagir avec le deutérium de la
décharge pour faire une fusion D-T, qui produit aussi
des neutrons. Les neutrons sont ensuite détectés par des capteurs très sensibles.
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Comment utiliser les
diagnostics pour contrôler la machine : les asservissements |
En plus de leur fonction de
mesure, certains diagnostics sont utilisés pour contrôler la décharge. Il est
alors nécessaire qu'ils remontent leur données en temps réel, ce qui demande
des composants électroniques très performants.
Par exemple, un asservissement
couramment utilisé est celui sur l'injection de gaz pour atteindre une densité
donnée. En effet, l'injection nécessaire pour obtenir une densité donnée
n'est pas facile à déterminer à l'avance : elle dépend du scénario choisi
(par exemple, si le divertor
ergodique est activé avec ses propriétés d'écrantage, il faudra
une injection beaucoup plus forte qu'en configuration limiteur pour atteindre la
même densité) et de l'état de la paroi (si la paroi
est très désaturée, elle retiendra une forte proportion du deutérium
injecté et il faudra donc une injection élevée, par contre, si elle est
proche de la saturation et commence à relâcher des particules, il faudra une
injection très modeste). On programme donc au départ une injection
"raisonnable" en fonction de la densité que l'on désire obtenir,
puis on utilise les mesures de densité par l'interférométrie pour ouvrir plus
ou moins la valve d'injection de gaz au cours du choc : si la mesure est
au-dessus de la densité ciblée, on ferme la valve, si elle est en-dessous, on
l'ouvre plus grand.
Ces asservissements se sont
révélés très utiles, en particulier dans les cas où on explore des régimes
délicats, qui ont tendance à mener facilement à la disruption, comme les scénarios
fortement rayonnants, le couplage
de forte puissance ou les décharges longues.
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