Les parois face au plasma des installations de fusion par confinement magnétique sont soumises à des flux de chaleur intenses qui peuvent aisément dépasser leurs capacités d’extraction et les endommager gravement. Leur protection en temps réel est par conséquent un enjeu crucial pour le fonctionnement de ces installations. Le CEA développe, sur son tokamak WEST, un système de détection et d’identification automatisées des points chauds par Intelligence Artificielle (IA) pour protéger les parois du plasma.
Dans les installations de fusion magnétique capables de réaliser des impulsions plasma de longue durée, les parois sont recouvertes de composants d’épaisseur centimétrique, constitués d’un assemblage d’un matériau réfractaire (généralement du tungstène) sur un matériau de structure à forte conductivité thermique (généralement un alliage de cuivre) refroidi par de l’eau sous pression. Pour maximiser la production d’énergie des plasmas de fusion, ces composants sont utilisées proche de leurs limites technologiques. L'objectif des systèmes de protection est donc de prévenir ces composants de dommages irrémédiables tout en permettant une exploration du domaine opérationnel de l’installation la plus vaste possible.
L'Institut de Recherche sur la Fusion par confinement Magnétique du CEA, l'IRFM, a mis en place sur son tokamak WEST un système combinant une instrumentation thermique basée sur l’infrarouge, la modélisation du transfert de chaleur et de l'émission photonique, le traitement des signaux et la compréhension de la physique de l'interaction plasma-paroi pour assurer une protection optimisée et contrôlée des composants dans cet environnement métallique.
Image issue de la vidéo de surveillance infrarouge dans l’enceinte du tokamak WEST. Les événements sortant du bruit de fond sont détectés (détourage carré) et identifiés (label juxtaposé) par Faster R-CNN, et suivis dans le temps grâce à l’algorithme SORT (Simple Online and Realtime Tracking).
L’identification et le suivi spatio-temporel permettent d’évaluer le risque et le besoin d’agir. Ainsi une réflexion de lumière infrarouge sur un composant froid correspond généralement à une fausse alarme, et ne devrait pas induire une contre-mesure qui viendrait brider les objectifs de l’expérience.
La protection de la paroi nécessite une réactivité rapide tout en gérant de grandes quantités de données. Il s’agit de réagir en temps réel, en quelques dizaines de millisecondes, sur l’analyse des caméras infrarouges surveillant la paroi (12 caméras sont actuellement installées sur WEST). En fonction de cette analyse, une stratégie de mitigation peut être déclenchée comme la réduction ou l’arrêt de la puissance de chauffage du plasma, l’éloignement du plasma de la paroi ou encore l’injection d’impuretés dans le plasma pour le refroidir.
Aujourd’hui, l’IRFM développe et installe des méthodes avancées combinant l’expertise et les connaissances acquises avec des techniques d’intelligence artificielle, à savoir le modèle Faster R-CNN, un modèle basé sur des réseaux neuronaux convolutifs [1]. A partir de bases de données d’annotations créées par les experts de la surveillance paroi et de techniques d'apprentissage automatique, ces méthodes détectent et identifient des événements dans les scènes thermiques des films infrarouges, permettant leur classification en termes de niveau de risque. En parallèle, des approches multimodales sont à l’étude, permettant d’exploiter toute la masse de données produites (films infrarouges, données temporelles issues d’autres capteurs), ainsi que des méthodes injectant de la connaissance physique a priori dans des modèles pour mieux caractériser certains types de dépôt de chaleur par exemple grâce à une décomposition de type Max-Tree pour la classification d’anomalies [2].
Une première démonstration des capacités de ces techniques a été réalisée cette année, en différé, sur la dernière campagne WEST, montrant une capacité exceptionnelle à la détection et à la reconnaissance des événements, accessible aux experts quelques minutes après chaque expérience. Cette technique sera testée en temps réel pour la prochaine campagne expérimentale prévue fin 2023 et ouvre des perspectives prometteuses pour l’exploitation future d’ITER.
[1] E. GRELIER et al., Fusion Eng. Des. 192 (2023) 113636
[2] V. GORSE et al., Rev. Of Scientific Instruments, Vol. 94, Issue 8 (2023)
Maj : 06/11/2023 (911)