Le CEA-IRFM, en collaboration étroite avec ITER Organization et plusieurs laboratoires internationaux, vient de franchir une nouvelle étape dans la modélisation et la compréhension des disruptions dans les plasmas de tokamak. Pour la première fois, des simulations reproduisent le pic de courant plasma – un trait caractéristique bien connu des disruptions – et révèlent le lien entre ce dernier et le chaos magnétique qui règne dans le plasma pendant la disruption.
Dans un tokamak, une disruption désigne une terminaison brutale du plasma causée par une instabilité magnétohydrodynamique (MHD). Les disruptions sont un sujet de recherche majeur car elles peuvent causer des dommages importants dans les grands tokamaks. Une ‘Task Force’ internationale a été mise en place en 2018 pour étudier ce problème et préparer un système de mitigation des disruptions pour ITER (https://www.iter.org/newsline/-/3183). Ce travail fait largement appel à la simulation, notamment à l’aide de codes de MHD 3D non-linéaire tels que JOREK, historiquement développé au CEA-IRFM et désormais utilisé dans de nombreux laboratoires. Le travail avec JOREK concerne en particulier les disruptions déclenchées par injection massive de matière.
En parallèle des études pour ITER, un travail de validation des simulations sur les tokamaks actuels est en cours. JOREK a ainsi été utilisé pour simuler une disruption déclenchée par injection massive d’atomes d’argon dans le plasma de JET [1]. Les simulations ont été comparées aux mesures expérimentales, par exemple de champ magnétique ou de rayonnement (bolométrie), à l’aide de diagnostics synthétiques (mesures reconstituées par la simulation). Les simulations reproduisent bien la dynamique d’ensemble de la disruption avec la déstabilisation de modes MHD dit ‘de déchirement’ qui altère profondément la topologie magnétique. Les surfaces magnétiques, initialement emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes, sont progressivement détruites par l’apparition de structures appelées ‘îlots magnétiques’ qui grandissent et finissent par se chevaucher, ce qui conduit à l’apparition de chaos magnétique qui provoque un changement violent de la topologie magnétique. Ceci est visible sur la Fig. 1.
Fig. 1 : Coupes de la densité de courant (haut) et de la température électronique (bas) ainsi que de la topologie magnétique (points blancs représentant des sections de Poincaré) à deux instants successifs (gauche et droite) dans une simulation JOREK de disruption déclenchée par injection massive d’argon dans JET. A t=5.26 ms, une zone chaotique existe au bord du plasma, caractérisée par une distribution ‘aléatoire’ de points blancs, tandis que plus à l’intérieur se distinguent deux ilots magnétiques puis une série de surfaces magnétiques intactes. A t=6.05 ms, 800 µs plus tard, la zone chaotique s’est étendue à l’ensemble du plasma.
Fig. 2 : Evolution du courant plasma dans l’expérience (bleu) et dans la simulation JOREK (rouge et cyan)
La première conséquence de ce chaos magnétique global est que la chaleur contenue dans le cœur du plasma est transporté vers le bord en moins d’1 ms, ce qui se voit sur les coupes de la température électronique, Te, en bas de la Fig. 1. Mais ce chaos magnétique a aussi des effets sur la distribution de densité de courant électrique, jϕ, dont des coupes sont représentées en haut de la Fig. 1. Ces effets sont liés principalement à la propagation d’ondes d’Alfvén le long des lignes de champ. Ces ondes tendent à répartir la densité de courant de façon homogène dans toute la zone chaotique. Grâce à un théorème de MHD portant sur la conservation de l’hélicité magnétique (intégrale volumique de A.B, où A est le vecteur potentiel et B le champ magnétique), on montre que cet étalement conduit à un accroissement du courant total porté par le plasma. C’est en effet ce qui se produit dans la simulation, et cet accroissement correspond à celui observé expérimentalement, comme on peut le voir sur la Fig. 2. Jusqu’à récemment, les simulations MHD n’arrivaient pas à reproduire ce trait caractéristique des disruptions à cause de limitations en résolution et en stabilité numérique. La simulation JOREK présentée dans [1] est donc une première et constitue un progrès important dans la validation des simulations et dans notre compréhension de la physique des disruptions.
[1] E. Nardon, K. Särkimäki, F.J. Artola, S. Sadouni, the JOREK team and JET Contributors, On the origin of the plasma current spike during a tokamak disruption and its relation with magnetic stochasticity, Nuclear Fusion 63 (2023) 056011
Maj : 26/05/2023 (898)