Les physiciens de l’IRFM se penchent sur la question du transport des atomes de tungstène, matériau qui recouvre les parois de la chambre à vide du tokamak et ne doit pas contaminer le plasma. Son accumulation au cœur du plasma cause des pertes radiatives importantes souvent observées sur le tokamak européen JET et sur Asdex-Upgrade en Allemagne. Sur le tokamak WEST, la rareté de ce type d’événement a trouvé une explication.
Figure 1 : Simulation pour un cas WEST
Coupe de la densité de tungstène (en haut) et de la puissance rayonnée (en bas)
- pour un plasma statique (à gauche, proche de la situation expérimentale)
- et en dans le cas hypothétique d’une forte rotation dans la direction perpendiculaire à la coupe (à droite).
La couleur rouge indique une densité et un rayonnement plus important dans un plasma en rotation (code FACIT)
L’opération d’un réacteur de fusion par confinement magnétique impose de fortes contraintes sur le choix des matériaux qui feront face au plasma chauffé à plusieurs millions de degrés. Ils doivent non seulement soutenir des flux de chaleurs importants mais aussi ne pas absorber le tritium radioactif qui fait partie du mélange réactif. Le tungstène, un métal à très haute température de fusion, est adapté à cet environnement mais il a parfois tendance à s’accumuler au centre du plasma. Il peut y causer des pertes radiatives élevées incompatibles avec la température requise pour entretenir les réactions nucléaires, voire éteindre totalement le plasma si elles dépassent la puissance de chauffage. Sur le tokamak WEST, au contraire de beaucoup d’autres machines, ce phénomène d’accumulation est extrêmement rare : pourquoi en est-il ainsi ?
Le tungstène, comme les autres particules du plasma, est transporté par deux canaux : un canal collisionnel et un canal turbulent. Le second domine généralement de beaucoup, mais pour les ions lourds (cas du tungstène), qui atteignent des degrés d’ionisation élevés aux températures typiques d’un plasma de fusion (~10 keV), deux mécanismes peuvent rendre le transport collisionnel très élevé : la rotation du plasma qui exerce une force centrifuge proportionnelle à la masse, et les asymétries du potentiel électrostatique qui exerce une force proportionnelle à la charge des ions. Sur de nombreux tokamaks, le plasma est chauffé par l’injection de faisceaux de neutres. Ce système de chauffage a pour conséquence de générer une importante rotation qui favorise l’accumulation d’impuretés du côté externe, à cause de la force centrifuge. Or dans les conditions usuelles, le flux d’impuretés est entrant du côté externe et sortant du côté interne du plasma. Avoir plus d’impureté du côté externe conduit donc à un flux globalement entrant, et à une accumulation de l’impureté au centre du plasma. Le problème de leur accumulation est ainsi très prégnant et a été observé sur les tokamaks JET et Asdex Upgrade par exemple. Sur WEST, au contraire, le plasma est chauffé par des ondes Radio-Fréquence, et sa rotation est faible. Dans ITER, la situation sera similaire à celle de WEST car l’impulsion créée par les faisceaux de neutres à haute énergie (1MeV) sera limitée. Dans ces conditions, le transport turbulent peut rester dominant et le tungstène ne s’accumule pas. C’est ce qu’ont confirmé les chercheurs de l’IRFM par des calculs réalisés avec des codes de turbulence et de transport collisionnel appliqués aux conditions expérimentales de WEST [Yang 2020], ce qui constitue un résultat important pour l’opération d’ITER et le design des futurs réacteurs de fusion.
Dans le cadre de ces travaux, une approche originale de l’évaluation des coefficients de transport collisionel a été développée et permet de gagner 6 ordres de grandeurs sur le temps de calcul, moyennant quelques simplifications validées par un code plus complet [Maget 2020]. Cela rend pertinente son implémentation dans un simulateur rapide d’évolution du plasma, qui sera réalisée en 2021 dans le cadre d’un projet européen. Cela facilite également les investigations sur les quelques cas d’accumulation qui restent à expliquer, et pour lesquels le potentiel électrostatique constitue l’une des pistes envisagées.
Publications :
Maj : 20/01/2021 (805)